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Institut Sofos Experts-Comptables

Comment évaluer le conseil en management ?

Depuis son émergence à la fin du XIXème siècle, le conseil en management s’attache à répondre aux besoins toujours plus complexes des organisations. L’exceptionnel essor du marché du conseil ces dernières années semble témoigner de la reconnaissance – au moins implicite – de l’utilité des consultants. D’après les données de Syntec Conseil1 – syndicat professionnel représentatif des sociétés de conseil en France – le marché du conseil aux entreprises a doublé au cours des 15 dernières années. Ce marché pesait 11 milliards d’euros en 2008 avec 95 000 collaborateurs contre environ 20 milliards d’euros en 2022 représentant près de 15 000 entreprises et 140 000 collaborateurs (dont 80% de cadres). Marquées par deux années de forte croissance (+9,5% en 2021 et +11,0% en 2022) selon les données du cabinet XERFI2 , les perspectives d’évolution du marché du conseil en France demeurent fortes en comparaison des autres pays européens puisqu’il ne représente que 0,7% du PIB français contre 1,2% au Royaume-Uni, 1,4% en Allemagne et près de 2,0% aux Etats-Unis.

Dans un environnement traversé au XXIème siècle par de profondes mutations à la fois économiques, sociales et environnementales, les organisations publiques comme les entreprises privées s’appuient sur des sociétés de conseil pour faciliter leur adaptation et accompagner leur propre changement. Le terme « consultant » est utilisé pour désigner toute personne qui assiste une tierce partie, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une organisation, et qui se rémunère en honoraires. Il existe globalement des attributs précis qui peuvent être partagés par les consultants, qu’ils travaillent pour de grandes entreprises de conseil ou qu’ils soient consultants indépendants, mais la diversité d’applications a rendu le « métier » de consultant relativement difficile à définir. Quel est en définitive le rôle d’un consultant en management ? Un consultant en management apporte une expertise externe, une expérience diversifiée et des compétences spécialisées pour aider les organisations à résoudre des problèmes, à prendre des décisions stratégiques, à améliorer leur performance globale ou donner du sens à l’action managériale. De ce fait, le conseil en management constitue une pratique qui peut offrir une valeur significative aux entreprises qui y ont recours.

La valeur ajoutée d’un consultant ne réside pas dans l’utilisation de techniques ou de méthodes spécifiques, ni simplement dans le fait d’être rémunéré pour ses services. Ce qui définit réellement un consultant, c’est sa posture, c’est-à-dire la façon dont il aborde les problèmes de son client pour lui proposer une solution adaptée et acceptable.

Pourtant, évaluer la performance d’un consultant et mesurer la valeur qu’il crée pour son client est un exercice difficile.

L’évolution rapide des métiers et l’absence d’outil reconnu de quantification de la création de valeur ont brouillé la perception qu’ont les entreprises de la profession de conseil en stratégie et en management. Bien qu’il soit peu probable que l’impact de la mission d’un consultant soit nul, sinon le secteur n’aurait pas connu une telle croissance, l’augmentation des dépenses liées aux services de conseil suscite des interrogations croissantes parmi les dirigeants d’entreprises quant au véritable bénéfice qu’ils en retirent. Il devient ainsi de plus en plus difficile de mesurer précisément l’impact de ces experts sur la performance financière et extra-financière des entreprises qu’ils accompagnent.

L’objet de cet article consiste à apporter une réflexion concernant le marché du conseil en management et le rôle des consultants avant de proposer une grille de lecture permettant de mesurer leur impact sur la performance globale de l’entreprise. Comment les experts-comptables peuvent-ils profiter de ce marché et développer une réelle démarche de conseil auprès de leurs clients ?

Contrairement à d’autres professionnels spécialisés dans les services aux entreprises tels que les avocats, les notaires, les experts-comptables ou les commissaires aux comptes, le métier de consultant en management est difficile à définir avec précision pour trois raisons principales :

  • il ne s’agit pas d’une profession réglementée, ce qui signifie que les consultants en management ne sont pas soumis à des règles ou des réglementations strictes établies par une autorité de régulation ou un ordre professionnel ;
  • il n’existe pas de diplôme spécifique, ni de parcours académique strictement définie pour exercer cette profession ;
  • c’est un métier complexe à segmenter car chaque cabinet a sa propre manière de définir sa pratique.

Pour ces différentes raisons, il est difficile d’établir avec précision les contours des diverses professions regroupées sous l’appellation générale de « conseil en management ».

Il n’existe aucune réglementation officielle définissant le domaine du conseil en management à la différence d’autres professions réglementées telles que les médecins, les avocats ou les experts-comptables. Il n’y a pas d’exigences de qualification spécifiques pour exercer cette profession, les consultants n’étant pas obligés de faire partie d’une organisation professionnelle. Les récentes tentatives visant à normaliser la profession semblent principalement intéresser les grandes entreprises en quête de la certification ISO 9000. Au niveau européen, des discussions sur l’harmonisation des normes sont menées par la FEACO (European Federation of Management Consultancies Association) et l’IMCI (International Council of Management Consulting Institute), mais jusqu’à présent, aucun système d’accréditation internationale n’a pu être établi.

Le domaine du conseil en management ne bénéficie d’aucune classification statistique particulière. En France, il est répertorié sous le code 7022 « Conseil pour les affaires et autres conseils en gestion », ce qui englobe un éventail bien plus large que les seules activités de conseil en management. De plus, certaines entreprises significatives ne sont pas enregistrées sous ce code, soit parce qu’elles sont classées sous une autre catégorie (comme le cas d’Accenture), soit parce qu’elles n’ont pas créé de structures juridiques spécifiques pour leurs activités de conseil (comme IBM Consulting), soit parce qu’elles ne déposent pas de comptes en France (comme c’est le cas de McKinsey ou du BCG).

En principe, la séparation entre les activités réglementées, telles que l’audit et l’expertise comptable, et les activités de conseil a été mise en place il y a plusieurs années, mais elle s’est intensifiée à la suite du scandale Enron. Cependant, dans la pratique, cette séparation n’est pas aussi nette. Après s’être séparés de manière spectaculaire de leurs divisions de conseil dans les années 2000, les grands cabinets d’audit ont récemment relancé des activités majeures de conseil en management. Ils ont accompli cela en cloisonnant leurs activités d’audit et de conseil, notamment en utilisant des filiales. Les cabinets d’audit internationaux ont ainsi ambitionné de séparer leurs activités d’audit et de conseil mais de nombreux projets comme celui d’EY ou de Deloitte sont pour le moment à l’arrêt.

Le marché est en constante évolution. Afin de fournir des conseils pertinents, les consultants doivent être capables d’anticiper et de s’ajuster aux changements dans l’environnement économique et les avancées technologiques qui ont un impact sur leurs clients. Le secteur du conseil en management est caractérisé par son dynamisme et sa capacité à évoluer. Les entreprises naissent, fusionnent, donnent lieu à des scissions ou se réorganisent en permanence, ce qui complique la compréhension et le suivi du marché. Le marché du conseil en entreprise est caractérisé par une concurrence intense et une atomisation importante, avec une grande variété de services offerts par des acteurs présentant des différences significatives en termes de taille et de compétences. Au cours des récentes années, la compétition s’est considérablement complexifiée en raison de l’abaissement des barrières à l’entrée résultant de la révolution numérique et digitale. Les acteurs traditionnels doivent désormais faire face à la concurrence de nouveaux entrants souvent plus agiles, proposant de nouvelles compétences et des solutions innovantes dans des domaines de l’intelligence artificielle, la data, l’économie circulaire ou la transition écologique. La crise du COVID-19 a accéléré les mutations du marché du conseil autour de quatre axes de développement principaux : la réorganisation du travail marquée par l’essor du télétravail, la transformation des usages, la sécurisation des approvisionnements et des débouchés et l’accélération de la transition écologique.

Les cabinets de conseil en management offrent différents types de prestation de nature très diverses : conseil en stratégie, en système d’information, en ressources humaines, efficacité opérationnelle, déploiement de progiciels et outils numériques, accompagnement au changement, data analyst, etc.

On peut toutefois classer ces prestations selon trois catégories principales :

  • le conseil en direction générale : mutations stratégiques, transformation digitale,  ;
  • le conseil en stratégie (corporate strategy) : portefeuille d’activités, développement international, fusions-acquisitions, choix d’investissement, conseil juridique ;
  • le conseil fonctionnel et opérationnel : système d’information, progiciels de gestion, marketing, RH, gestion de trésorerie, achat, logistique / supply-chain.

Dans son étude annuelle sur le marché du conseil en management en France publié en 2022, le cabinet Xerfi dresse un panorama des principales typologies d’entreprises présentes sur ce marché. On peut identifier cinq grandes catégories d’acteurs :

  • les cabinets de conseil en stratégie (McKinsey, BCG, At Kearney, Roland Berger…) ;
  • les acteurs généralistes du conseil (Wavestone, Eurogroup…) ;
  • les opérateurs mêlant conseil et IT (Accenture, Cap Gemini Invent,…) ;
  • les pôles conseil des cabinets d’audit et d’expertises comptables (EY Advisory, PwC Advisory…) ;
  • les cabinets spécialisés indépendants dont les associés-fondateurs sont souvent issus des grands noms du conseil en management.

Ces cabinets déploient leur offre autour de huit typologies de mission :

  • Conseil en stratégie : diversification de portefeuille, opérations de croissance externe, accompagnement à l’internationalisation, aide à la décision en matière d’investissement ou de création de business unit ;
  • Conseil en système d’information : numérisation des process, déploiement de progiciels, paramétrage d’ERP, audit de SI ;
  • Conseil en organisation et performance opérationnelle : optimisation des processus interne et externe, réorganisation fonctionnelle de BU, intégration de solutions de lean-management, gestion des stocks, amélioration de la fonction achat ;
  • Conseil RH : conduite de changement, modification d’échelle de rémunération, GPEC, plans de formation ;
  • Conseil à la transformation numérique (assistance maitrise d’ouvrage – AMOA) : optimisation de la data, déploiements de solution d’IA ;
  • Conseil en finance et risk management : optimisation de la gestion de trésorerie, renégociation de lignes financement, renégociation de dettes, optimisation de la gestion des risques financiers (taux, change, matière premières…) ;
  • Conseil en optimisation de coût : réduction des charges fixes, optimisation des charges de personnel ;
  • Conseil en innovation : propriété intellectuelle, accompagnement au dépôt de brevet, évaluation de POC (proof of concept) ;
  • Autres : ce segment recouvre l’ensemble de l’offre de services connexe à ces différentes missions (juridique, fiscal, …).
Figure 1 – Répartition du chiffre d’affaires du conseil en France par type de mission en 2020
Source : Xerfi (2022) « Le conseil en management en France », Septembre 2022, p. 31, Syntec Conseil (chiffres 2020).
 

De manière à répondre au mieux aux besoins de leurs clients, deux modèles de cabinet de conseil en management coexistent afin de déployer leur offre de services : le modèle pluri-disciplinaire et le modèle expert.

Le modèle pluri-disciplinaire s’appuie sur une approche généraliste des problématiques managériales. Il vise à couvrir l’ensemble des besoins des clients avec une forte capacité à standardiser les process afin de fournir une qualité de services homogène dans le temps et dans l’espace grâce à une forte diversité de sources de revenus. C’est le modèle des grands cabinets d’audit internationaux qui ont développé une branche conseil (advisory) diversifiée. Le modèle de développement de ces cabinets s’appuie à la fois que la croissance organique en adaptant leur offre aux problématiques de leurs clients et sur la croissance externe à travers des rachats de cabinets ciblés. Ils disposent pour cela de ressources financières importantes pour assurer ce développement. Le modèle pluridisciplinaire repose sur une approche globale des défis en gestion, cherchant à satisfaire l’ensemble des besoins des clients en adoptant des processus standardisés.

Le modèle expert s’appuie au contraire sur des savoir-faire spécifiques. Il s’agit du modèle de développement des grands noms du conseil en stratégie et des cabinets spécialisés indépendants. Ces acteurs s’appuient sur des modèles issus de compétences spécifiques développées au cours d’interventions passées et sur un haut niveau de service. Ces cabinets sont généralement de taille réduite avec un fort niveau de séniorité des consultants et s’adressent en général à des directions générales ou des directions fonctionnelles. Les consultants s’appuient sur des relations très fortes avec leurs clients et un fort degré d’exigence sur l’exécution de la mission.

Figure 2 – Business model des cabinets de conseil en management : modèle plursiciplinaire vs modèle expert
Source : Xerfi (2022), adapté de la méthode RCOV (Ressources – Compétences – Organisation – Proposition de valeur). Demil, B. Lecoq, X., Warnier, V. (2018) « Stratégie et business model », Pearson, 2ème edition, 298 p.

Au-delà de l’offre de conseil déployable à travers ces deux typologies de modèle, la création de valeur d’une mission de conseil en management peut être analysée à travers six grands concepts de management qui permettent d’appréhender l’intervention d’une consultant afin d’évaluer le processus de création de valeur. D’après les travaux de l’Institut de l’Entreprise3, on peut identifier six concepts théoriques-clés qui permettent d’appréhender la manière de valoriser le conseil en entreprise.

L’approche la plus traditionnelle, issue de la microéconomie et des premiers modèles d’analyse stratégique, suppose que la création de valeur découle avant tout de l’allocation efficace des facteurs de production et de l’optimisation du capital matériel et immatériel avec le facteur travail. Le rôle du consultant consiste ainsi à dresser un bilan les processus internes de manière à optimiser la meilleure allocation des facteurs de production afin d’accroitre la productivité du capital et du travail.

Le deuxième champ d’analyse se concentre plutôt sur l’utilisation des savoirs (connaissances, savoir-faire, savoir-être) : une entreprise génère de la valeur dès qu’elle crée et, surtout, lorsqu’elle codifie et transmet ces savoirs en interne auprès de ses collaborateurs et en externe auprès de ses clients et fournisseurs dans une démarche de coopétition.

Le troisième mécanisme repose davantage sur l’optimisation des coûts de coordination : la création de routines et de processus contribue à réduire ces coûts, ce qui permet de régulariser les opérations et de réduire la nécessité de coordination.

Le quatrième levier est lié à la création de normes, en particulier celles qui organisent les marchés et la circulation des biens.

Le cinquième mécanisme, appelé « alignement« , vise à minimiser l’écart entre la gestion d’une part et la stratégie et les résultats réels d’autre part. C’est la démarché au cœur du contrôle de gestion qui vise à améliorer l’efficience opérationnelle. Ainsi, la création de valeur se produit lorsque des auditeurs, par exemple, remontent des informations liées aux processus jusqu’à la direction.

Le dernier levier, le plus récent, traite de l’évolution de l’entreprise et de sa capacité à se réinventer ; il s’agit de la théorie des capacités dynamiques.

Ces six théories peuvent être synthétisées pour former un modèle comprenant trois dimensions de création de valeur. Les consultants jouent un rôle dans chacune de ces dimensions. Dans la première dimension, fonctionnelle, les consultants apportent des compétences rares, codifient le savoir et participent à l’ingénierie des processus. Dans la deuxième dimension, normative, les consultants créent des normes, les diffusent et aident les entreprises à s’y adapter. Enfin, dans la troisième dimension, transformationnelle, les consultants contribuent à la réinvention de l’entreprise grâce à ses capacités dynamiques.

Bien que la première dimension soit la plus explicite et liée aux activités traditionnelles des consultants, les deux autres dimensions, normative et transformationnelle, jouent un rôle crucial dans la création de valeur, même si elles sont parfois moins perceptibles.

Dans la première dimension fonctionnelle de leur mission, les consultants ont la capacité d’apporter des compétences rares, qui sont soit inexistantes au sein de l’entreprise, soit trop coûteuses à acquérir à l’externe, ou encore requises uniquement pendant des périodes de pointe. De plus, ils contribuent à la formalisation et à la transmission des connaissances au sein de l’entreprise. Les consultants jouent de ce point de vue un rôle essentiel en tant qu’ingénieurs des processus, ce qui permet d’obtenir une vision assez claire de la création de valeur. Il est important de noter que l’offre des consultants dans ce domaine a considérablement évolué en parallèle avec l’évolution des besoins des entreprises.

Paradoxalement, la valeur normative est la moins valorisée, bien que son impact soit véritablement significatif. Aujourd’hui, les entreprises disposent d’un vaste éventail de projets et d’outils tels que la Balance Scorecard, le Lean Manufacturing, le 360°, et d’autres. Tous ces projets et outils véhiculent des normes qui s’imposent à l’ensemble du marché. Les consultants jouent un rôle triple dans ce contexte. Tout d’abord, ils sont responsables de la création de ces normes, un marché qui trouve ses origines principalement aux États-Unis, où le monde économique entretient des liens étroits avec le monde académique. Ensuite, ils assurent la diffusion pratique de ces normes. Enfin, cette diffusion exige une adaptation des entreprises, adaptation qui peut être facilitée, voire entièrement orchestrée, par les consultants.

La valeur transformationnelle se manifeste dans la capacité d’une entreprise à s’adapter aux évolutions des normes de performance, souvent dictées par des acteurs externes. Cela nécessite un travail approfondi pour intégrer ces normes de performance au sein de l’entreprise, impliquant le développement de compétences, la révision des processus, et la transformation de la culture organisationnelle.

Dans ce contexte, les consultants assument quatre fonctions essentielles.

  • Tout d’abord, leur simple annonce a une valeur symbolique, car elle suscite l’attention et crée une certaine tension, ce qui peut être exploité efficacement par la direction.
  • Ensuite, l’intervention d’un tiers extérieur apporte un regard frais et une perspective distanciée que les acteurs internes ne peuvent pas fournir, ce qui aide l’entreprise à élargir ses horizons.
  • Le troisième rôle, d’ordre politique, est également bien connu des dirigeants, car il permet de résoudre des conflits existants ou d’accélérer des partenariats stratégiques.
  • Enfin, les consultants jouent un rôle disciplinaire en imposant des échéances et des étapes claires dans le cadre des projets de transformation.

A travers l’analyse de ces trois dimensions, la mesure de la performance d’un consultant peut ainsi varier en fonction des objectifs poursuivis, de son domaine d’expertise et des attentes de l’entreprise ou de l’organisation pour laquelle il effectue sa mission. Voici les principaux critères couramment utilisés pour évaluer la performance d’un consultant :

  1. Réalisation des objectifs : les consultants devraient avoir des objectifs clairs et mesurables à atteindre définies dans la lettre de mission. La réalisation de ces objectifs peut être un indicateur important de leur performance. Par exemple, il peut s’agir d’objectifs liés à l’achèvement de projets, à la satisfaction des clients, à la génération de revenus, à l’amélioration du taux de marge, etc.
  2. Feedback et benchmark des clients : la rétroaction des clients est cruciale pour évaluer la performance d’un consultant. Les retours des clients sur la qualité du travail, la communication, la réactivité et la résolution de problèmes sont des éléments importants à prendre en compte de même que le benchmark avec d’autres types de mission.
  3. Évaluation par les pairs et les supérieurs : les collègues et les supérieurs du consultant peuvent fournir des commentaires précieux sur sa performance. Cela peut inclure des évaluations formelles, des revues de pairs, des entretiens d’évaluation, etc.
  4. Auto-évaluation : Le consultant peut également s’auto-évaluer en examinant sa propre performance à la lumière de ses objectifs, de ses compétences, de sa contribution à l’équipe et de son développement professionnel.
  5. Gestion du temps et de l’efficacité : L’efficacité dans la gestion du temps et des ressources est essentielle pour un consultant. Vous pouvez mesurer la performance en évaluant la gestion du temps, la productivité et l’efficacité opérationnelle.
  6. Compétences et connaissances : Évaluer la compétence technique, les compétences en communication, les compétences de résolution de problèmes et l’expertise du consultant dans son domaine d’activité.
  7. Qualité des livrables : La qualité des rapports, des recommandations, des analyses et d’autres livrables du consultant peut être évaluée pour mesurer sa performance.
  8. Retour sur investissement (ROI) : Pour les consultants dont le travail a un impact direct sur les résultats financiers de l’entreprise, le ROI peut être un indicateur clé de performance. Cela peut inclure des mesures telles que l’augmentation des ventes, la réduction des coûts, l’amélioration de la marge, etc.
Figure 3 – Modèle d’évaluation de la performance d’un consultant
Source : auteur

Dans ce contexte, les experts-comptables ont un rôle essentiel à jouer en matière de conseil en management pour leur clientèle de TPE / PME. Les cabinets d’expertise-comptable peuvent en effet se positionner sur l’ensemble des missions connexes à la mission principale de production d’informations comptables et financières en profitant de la relation de confiance qu’ils entretiennent avec les chefs d’entreprises et les synergies qu’ils peuvent déployer grâce leurs compétences.

Pourtant, la dimension conseil peine encore à décoller au sein des cabinets d’expertise-comptable malgré un terreau particulièrement fertile. On estime en effet que la partie conseil de l’activité des experts-comptables dépasse péniblement 10% du montant total de leurs honoraires. Le problème principal auxquels les experts-comptables sont confrontés n’est pas tant leur capacité à apporter des conseils éclairés à leurs clients mais bien de faire accepter par leur client une rémunération pour les conseils prodigués.

On retrouve parmi ces missions les principaux domaines d’intervention : comptabilité/finance, social, juridique, fiscal, informatique. Les missions de conseil classique que peuvent exercer les cabinets d’expertise sont présentées dans le tableau ci-dessous.

Figure 4 – Les missions connexes au rôle de l’expert-comptable
Source : auteur

Lorsqu’on interroge les dirigeants de petites et moyennes entreprises, il apparaît que leurs besoins en matière d’accompagnement portent sur des aspects de gestion d’entreprise très concrets. Ils recherchent une assistance pour des activités opérationnelles telles que le pilotage de leur entreprise, la création de tableaux de bord, la gestion de trésorerie, l’intégration de logiciels de gestion, des conseils en matière de financement, et le suivi du recouvrement de leurs créances clients. Cette demande crée une convergence d’intérêts entre les experts-comptables et les dirigeants de PME.

Il est à noter que la plupart de ces dirigeants sont avant tout des techniciens plutôt que des gestionnaires. Ils aspirent à décharger leurs responsabilités administratives pour se concentrer sur leur rôle de direction et de développement. Les cabinets d’expertise-comptable possèdent les compétences nécessaires pour répondre à ces besoins, mais ils peuvent souvent être limités par des contraintes de temps, de structure organisationnelle, voire par un manque d’orientation entrepreneuriale pour développer une expertise réelle en matière de conseil.

Les experts-comptables doivent également renforcer leurs compétences en matière de marketing et adopter une approche de facilitateurs d’affaires. Ils devraient devenir le principal interlocuteur des dirigeants dans leurs relations avec tous les conseillers de l’entreprise et l’accompagner dans la mesure de performances des autres consultants. Leur rôle consisterait à interpréter les données et à les transformer en outils d’aide à la prise de décision. Le point central des missions ne serait plus seulement la comptabilité, mais l’entreprise elle-même et son dirigeant.

Dans ce contexte, le déploiement de la facture électronique (e-invoicing) devrait offrir de nombreuses opportunités aux cabinets d’expertise comptable pour déployer de nouvelles offres d’accompagnement à leurs clients. La facture électronique va en effet permettre de réduire le coût de production des états financiers. C’est une formidable opportunité pour les cabinets de proposer des missions de conseil et de nouer des alliances stratégiques avec des cabinets de conseil aux compétences complémentaires. Pour proposer une offre globale de services, les cabinets devront ainsi être capables d’intégrer différentes expertises, voire de redéfinir leur modèle économique, en optimisant les ressources consacrées à la production de données comptables et financières afin de les redéployer vers de nouvelles missions présentées (cf  figure 4). Cela leur permettra de développer un avantage compétitif durable en offrant une réelle valeur ajoutée à leurs clients.

Pour conclure, évaluer la performance d’un consultant consiste d’abord à bien présenter les objectifs de la mission, le domaine d’intervention que les attentes de l’entreprise de manière à mesurer de manière précise un retour sur investissement. De ce point de vue, les experts-comptables ont une place à prendre sur un marché en pleine évolution tant sur l’accompagnement de leur clients TPE/PME que le développement d’outils de mesure de la performance du conseil.

Jean-Etienne Palard
Maître de Conférences

décembre 2023


  1. Syntec Conseil (2023) « Le marché du conseil en France. Etude 2022-2023. », Paris, 128 p, ://syntec-conseil.fr/actualites/le-marche-du-conseil-en-france-2022-2023/.
    Depuis plus de 20 ans, Syntec Conseil réalise une étude d’activité annuelle sur le marché du conseil en France. Cette étude se décline en deux volets : un volet qualitatif, reposant sur la perception du marché et ses évolutions à partir de tables rondes (dirigeants et DRH), et un volet quantitatif, enrichi à partir du Baromètre Conjoncture de Syntec Conseil mis à jour en Avril 2022. ↩︎
  2. Etude Xerfi (2023) « Le conseil en management en France. Perspectives et évolution 2023. » Xerfi publications, Paris, 278 p. ↩︎
  3. Institut de l’Entreprise (2020), « Quelle valeur ajoutée du conseil ? », 10 p. https://www.institut-entreprise.fr/sites/default/files/archives/WP45_Valeur-ajoutee-conseil_RL_0.pdf ↩︎

Institut Sofos Experts-Comptables

Le capital humain des experts-comptables stagiaires : un actif immatériel à valoriser

La profession comptable libérale occupe une place privilégiée au sein de l’économie française dans la mesure où ses membres participent à la préparation et à la révision des états financiers de la grande majorité des petites et moyennes entreprises. Son rôle sociétal est capital pour aider ces différentes sociétés et entreprises à se développer et à créer de la valeur au sein d’une économie compétitive, innovante et prospective.

Une fois titulaires du DSCG (Diplôme d’Etudes Supérieures de Comptabilité et de Gestion), et souvent d’un double diplôme de niveau master, les néo-comptables font, durant trois ans, voire plus en cas de non obtention de leur attestation de fin de stage, l’apprentissage du métier d’expert-comptable et de commissaire aux comptes (acquisition de connaissances techniques, apprentissage des normes professionnelles et de comportement, initiation au management). Nul doute que les experts-comptables stagiaires constituent une population à part entière au sein des cabinets d’expertise comptable et de commissariat aux comptes, à mi-chemin entre les associés dirigeants et les collaborateurs. 

Bien qu’inexpérimentés, ce ne sont pas des salariés comme les autres. Ce sont les confrères de demain qui dirigeront les cabinets du futur. En effet, après une période minimale de trois ans de formation et d’apprentissage du métier, ils « embrasseront » soit une carrière d’experts-comptables libéraux, soit celle de cadres comptables et financiers au sein de directions d’entreprises. Bien entendu, cette période de trois ans correspond à une introduction à l’exercice du métier qui se fera tout au long d’une carrière professionnelle d’une quarantaine d’années. Ainsi, ce temps du stage est capital pour accompagner les impétrants durant cette période de « premiers pas ». Leur capital « enthousiasme » est réel et la question qui se pose est la suivante : comme réussir la valorisation du capital humain des experts-comptables stagiaires selon un logique gagnant-gagnant à la fois pour la personne concernée mais également pour le cabinet qui investit en elle et contribue à sa formation, durant cette période particulière qu’est le stage de trois ans ?

Le capital humain des experts-comptables stagiaires est un actif immatériel et invisible à identifier, à mobiliser et à valoriser. Le capital humain a été défini par l’OCDE comme l’ensemble des connaissances, des qualifications, des compétences et des caractéristiques individuelles qui facilitent la création d’un bien-être personnel, social et économique.

La question de la valorisation du capital humain est complexe car elle interroge sur le processus organisationnel qui va permettre de « rentabiliser » l’investissement éducationnel (au minimum 5 ans) réalisé par la collectivité au service d’un accroissement de la productivité au sein du cabinet ce qui va se traduire concrètement par une augmentation du chiffre d’affaires du cabinet et de son EBE, soit en quelque sorte un accroissement du revenu d’emploi. Or, nul doute que l’insertion professionnelle dans une nouvelle organisation et dans un univers souvent inconnu est un processus social complexe qui nécessite une interaction maîtrisée entre l’individu et l’organisation. Et, tout l’enjeu est de construire un processus de socialisation permettant de transférer le capital humain en un capital social et un capital talent.

L’insertion professionnelle est un processus long. Selon le grand sociologue Max Weber, l’homme dispose de 3 types de ressources possibles pour améliorer ses conditions de vie : des ressources économiques, des ressources politiques et des ressources symboliques (relations sociales). Ainsi, les individus agissent socialement les uns avec les autres pour atteindre les but visés et souvent invisibles, dont parfois secrets. Le capital social réfère ainsi à l’ensemble des relations de confiance et d’autorité, et à des normes sociales qui entourent l’individu dans son milieu relationnel. Quant à Pierre Bourdieu, autre sociologue français reconnu internationalement, il définit le capital social comme l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’inter-connaissances et d’inter-reconnaissances ; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe, pensé comme un ensemble d’éléments qui ne sont pas seulement dotés de propriétés connues mais qui sont aussi unis par des liaisons pertinentes et utiles.

Si les jeunes professionnels comptables sont préoccupés par la valorisation de leur capital humain et social, les enjeux pour les cabinets d’expertise comptable qui les embauchent, les accueillent et les accompagnent dans le cadre de la valorisation de leurs compétences sont également importants et multiples. Leurs maîtres de stage s’interrogent sur plusieurs points. Comment rendre ces jeunes professionnels les plus opérationnels et performants possible ? Comment les faire monter en niveau en valorisant leurs compétences techniques, relationnelles et managériales ? Comment les fidéliser ? Comment les impliquer et, en même temps, comment les aider à se construire pour devenir les experts-comptables de demain ?

De manière opérationnelle, ce processus d’actions peut se structurer à partir de la méthode RCOREF@ : R comme Recrutement, C comme Communication, O comme Organisation, R comme Rémunération, E comme Emploi et F comme Formation.

La valorisation du capital humain des experts-comptables stagiaires peut se faire tout d’abord par la définition d’un profil de poste précis et la recherche d’un candidat au profil y répondant. Concernant le poste, ses caractéristiques sont à définir : nature du travail à réaliser, maîtrise des secteurs d’activité des clients du cabinet, périodicité du travail, mission de production des comptes annuels et établissement des déclarations fiscales en autonomie totale ou partielle. Il sera sans nul doute bénéfique pour le cabinet de présenter un contenu précis du poste au candidat et il lui appartiendra d’apprécier à sa juste valeur le capital humain du candidat expert-comptable stagiaire. Son capital est triple : un capital connaissances acquis durant les études (rapidité d’obtention du diplôme, notes obtenues, réputation du diplôme, voire double diplôme, stages réalisés, efforts consentis durant les études), un capital social, voir inter-social (activités sportives et culturelles, voyages effectués, engagements sociaux et humanitaires) et peut-être plus que tout, le capital « valeurs». Le cabinet peut alors faire sienne, pour recruter, la citation d’Einstein : « N’essayez pas d’être un homme de succès, plutôt de valeur ». Il est ainsi important pour le cabinet de cerner le profil psychologique du candidat afin d’éviter les personnalités à l’opportunisme négatif, à savoir le candidat « mercenaire » prêt à quitter le cabinet à tout prix, une fois une partie du capital expérience constitué. Pour conclure ce premier point, les techniques de recrutement peuvent être articulées autour de tests techniques (tests de comptabilité et de fiscalité), de tests de personnalité (par exemple, le locus of control) et de trois entretiens (le premier avec un jeune collègue, le deuxième avec un superviseur et le troisième avec l’associé qui sera son maître de stage). Concernant la rémunération, pour des candidats dont le potentiel a été identifié, il peut être utile de proposer un salaire supérieur de 10% à celui de la moyenne sur le marché afin d’envoyer un signal à l’impétrant.

La deuxième étape consiste, une fois la personne recrutée, à mettre l’accent sur la communication interne. Les premières semaines et les premiers mois sont toujours les plus difficiles pour un nouvel entrant au sein d’une organisation car il doit se « familiariser » avec les dossiers du portefeuille qui lui sont confiés, acquérir la confiance des clients et s’intégrer au sein de l’équipe et, de manière plus générale, au sein du cabinet. La nomination d’un « mentor » faciliterait et améliorerait l’intégration de l’expert-comptable stagiaire nouvellement recruté. Ce mentor pourrait être choisi ou non au sein de l’équipe. Il aurait pour rôle de faire des mini-entretiens d’étape au bout d’un mois, de trois et de six mois pour acter une inclusion réussie et facilitée. Si besoin, il pourrait servir de référent technique en cas de difficultés sur un dossier et de médiateur en cas « d’incompréhension communicationnelle ». Concernant ce dernier point, des messages collectifs pourraient être délivrés sur la rédaction des mails, les prises de rendez-vous, les modalités de questionnement des clients et le type de relations nouées avec les clients. Tout l’enjeu est de mettre en place un processus d’insertion professionnelle et d’assimilation des jeunes experts-comptables stagiaires de façon à les aider à franchir les barrières hiérarchiques et fonctionnelles et, ainsi, de coconstruire un capital relationnel, vecteur de fidélisation.

La troisième étape est de bâtir une organisation (O) du travail efficiente et performante dans le temps et dans l’espace. Il appartient au cabinet de définir les tâches à réaliser en adéquation avec les compétences limitées, du fait de l’inexpérience des experts-comptables stagiaires, tout en les aidant à se projeter comme de futurs experts-comptables. Il convient à ce stade de saluer les moyens mis en œuvre par les conseils régionaux de l’Ordre des Experts-Comptables pour la réussite du contrôle de stage (responsables pédagogiques des IRF en charge de l’organisation, implication des contrôleurs adjoints du stage, rôle important du contrôleur principal de stage, animateurs). L’enjeu principal est de former les futurs experts-comptables de demain en les aidant à se construire professionnellement. Ainsi, après un à deux ans de production des états financiers, il serait profitable pour l’impétrant et le cabinet d’affecter le premier nommé à des missions analytiques de conseil. Les experts-comptables stagiaires sont les personnes idoines pour permettre aux cabinets de développer des missions de conseil pour les TPE-PME qui ne représentent actuellement que 8% du chiffre d’affaires de la profession comptable libérale. Mais quels types de missions : par exemple, des missions de conseil de gestion et des missions de conseil financier. Les missions de conseil en gestion seraient, par exemple, la mise en place d’un système d’analyse des coûts ou la construction d’un tableau de bord de pilotage de la performance globale au service du dirigeant. Les missions de conseil financier seraient tout aussi bien la construction de business plans, l’analyse de la rentabilité économique et financière d’investissements, l’optimisation des moyens de financement dans le cadre de projets de développement ou l’évaluation financière des actifs ou des droits sociaux. Ces missions pourraient être structurées autour de la méthodologie du conseil : diagnostic-préconisation. Ils deviendraient ainsi des consultants juniors, travaillant en équipe, selon une approche liberté-responsabilité, le tout sous la supervision d’un « senior ».

En complément, un projet pourrait leur être confié à savoir la construction d’une cellule spécialisée et chargée de l’établissement des déclarations d’impôt sur le revenu selon un double axe porteur de valeur ajoutée : sécurisation et optimisation. Il s’agit d’une mission à valeur ajoutée, autorisée et construite autour d’une logique de services aux particuliers. Ainsi, pour les experts-comptables stagiaires, la montée en compétences serait au rendez-vous, une nouvelle création de valeur financière serait apportée au cabinet tout comme une meilleure satisfaction au travail, une motivation au travail renforcée et une implication organisationnelle démultipliée pour ces jeunes professionnels en devenir, et futurs associés et dirigeants des cabinets de demain. Comme le soulignez Peter Drucker, conseil en management, « le meilleur moyen de prévenir le futur est de le créer ».

Le quatrième levier de valorisation du capital humain des experts-comptables stagiaires est le choix par le cabinet d’une politique de rémunération (R) efficiente. Tout comme la reconnaissance du travail effectué et l’intérêt du travail, la rémunération est une des composantes de la satisfaction au travail de tout salarié. La détermination du montant d’une rémunération est toujours affaire d’équilibres : équilibre entre la partie fixe et la partie variable, équilibre entre la rémunération d’une compétence, du travail réalisé et facturé aux clients ou d’un potentiel qui sera valorisé dans le temps. La rémunération perçue est un point aussi important pour les experts-comptables stagiaires que pour les autres salariés du cabinet. Je me risque à quelques préconisations.

Préconisation N 1 : 80% de rémunération fixe (pour sécuriser un niveau de vie) et 20% de rémunération variable (pour inciter à l’effort) sachant que cette dernière dimension pourrait être répartie entre 50% de rémunération collective (via un contrat d’intéressement) et 50% de rémunération variable.

Préconisation N 2 : fixer des objectifs de chiffre d’affaires à réaliser en lien avec la rémunération versée. Supposons qu’un expert-comptable stagiaire soit rémunéré 3 000 Euros brut par mois, ce qui donne un coût chargé annuel proche de 54 000 Euros (en faisant l’hypothèse d’un taux de 50% de charges sociales patronales). Le chiffre d’affaires à réaliser pourrait varier entre 2 et 2,5 fois la rémunération annuelle, soit entre 110 000 Euros et 120 000 Euros. Un tel objectif d’honoraires par expert-comptable stagiaire pourrait être atteint par un subtil équilibre entre les missions classiques d’établissement des comptes annuels (missions utiles, nécessaires et qui constituent le cœur de métier des cabinets) et des missions de conseil, proposées aux clients et savamment dosées en termes de complexité et de faisabilité. Par exemple, cela pourrait être 30 missions de conseil d’arrêtés des comptes annuels, facturées 3 000 Euros en moyenne et 30 journées de conseil facturées 1 000 Euros par jour. Cela me semble réalisable et cela passe bien entendu par le développement d’une culture conseil au sein du cabinet et la mise en place d’une politique commerciale et de recherche de prospects clients.

Cinquième levier de la méthodologie proposée : le « E », c’est-à-dire la gestion de l’Emploi des experts-comptables stagiaires. Le XXIème siècle sera celui de la guerre des talents qui vont être « chassés » dans tous les secteurs, et notamment dans le domaine comptable où la guerre va notamment être terrible entre les cabinets d’expertise comptable, les entreprises et organisations privées mais également les organisations publiques. Lors d’une interview accordée aux Echos Judiciaires Girondins en date du 16 juin 2023, Cécile de Saint Michel, Présidente du Conseil National de l’Ordre des Experts-Comptables, soulignait : « l’autre grand défi auquel est actuellement confrontée la profession est le manque d’effectifs. D’ici à 2025, près de 30 000 postes seraient à pourvoir dans les métiers de l’expertise comptable. Les cabinets peinent à trouver de nouvelles recrues à cause d’une attractivité fragile. La profession comptable souffre d’une mauvaise image, injustifiée au regard de la richesse des missions et de l’utilité qui est la nôtre ». Ainsi, rien de plus terrible pour les associés des cabinets de constater le départ des « potentiels » qu’ils ont formés. C’est une triple destruction de capital à laquelle on assiste dans ce cas : destruction du capital compétences acquis sur les dossiers des clients, destruction du capital social construit au sein du cabinet architecturé autour de la qualité, et destruction du capital confiance construit avec les clients.

De manière concrète, un plan de carrière peut être bâti avec tout expert-comptable stagiaire qui donnerait satisfaction et qui aurait adhéré au système de valeurs du cabinet. Ce plan de carrière dessiné et esquissé traduira la reconnaissance du travail effectué et permettra au jeune professionnel de se projeter. Une perspective de carrière pourrait être dessinée et associée à des objectifs mesurables et à atteindre, le tout articulé autour de la compétitivité valeur du cabinet. Les futurs postes à occuper seraient ceux de responsables de missions, puis de managers de groupe avant d’avoir la possibilité de devenir associés au bout d’une dizaine d’années de présence au sein du cabinet si toutes parties prenantes concernées en étaient d’accord. Tout au long de la carrière pilotée et gérée, la montée en compétences serait tout à la fois technique (par exemple, en fiscalité approfondie : IFI complexes, transmission d’entreprises à titre gratuit ou onéreux, fiscalité des plus-values, holdings animatrices, droits de donation et de succession, points complexes de la TVA), managériales (capacités à encadrer une équipe) et relationnelles (démonstration à développer un capital social et relationnel en faisant ses preuves pour l’obtention de nouvelles missions pour le cabinet).

Dernier levier et pas des moindres, « mettre le paquet » sur les actions techniques de formation (F) continue, formidables accélérateurs de compétences, et qui viendront s’ajouter aux actions de formation déontologiques et comportementales suivies dans le cadre du contrôle de stage. On peut évaluer à 10 jours les actions nécessaires de formation continue par an, en plus de celles du contrôle de stage, aussi bien sur les champs techniques, comportementaux que managériaux. Les experts-comptables sont destinés à devenir « les ingénieurs du chiffre » ce qui nécessite, comme pour tout ingénieur, de connaître très bien les techniques comptables, financières, fiscales, juridiques et sociales afin de pouvoir proposer à terme des missions sur mesure à leurs clients. La fertilisation croisée des connaissances acquises et de l’expérience professionnelle vécue permettra aux experts-comptables stagiaires de se construire un fort capital compétences qui leur sera très utile quand ils deviendront associés. Ainsi, l’ensemble de ces actions contribueront à valoriser le capital humain des experts-comptables stagiaires dont la majorité d’entre eux souhaitent « embrasser » le métier d’expert-comptable avec passion et détermination. Le véritable enjeu de la période du « stage » d’expertise comptable sera de former les futurs diplômés d’expertise comptable qui pourraient être amenés à arbitrer entre une carrière en entreprise et la profession comptable libérale. Pour les diplômés qui choisiraient cette dernière voie, un point essentiel est de les aider à se projeter en tant qu’experts-comptables du futur. Ils seront alors à la fois des experts techniques de haut niveau et les dirigeants de cabinets de services aux activités complexes.

9 octobre 2023
Christian Prat-dit-Hauret
Professeur des Universités et Directeur du Comité Scientifique

Avertissement

Les travaux de l’Institut Sofos sont des études de fond accompagnées de propositions apolitiques qui peuvent être affinées ou amenées à évoluer le cas échéant. Les études publiées sont à prendre dans leur ensemble et ne peuvent être résumées par des extraits. Les propositions présentées ne sont pas à considérer comme des revendications ou des exigences. Elles doivent permettre d’ouvrir le débat et contribuer à la réflexion et aux travaux nécessaires à la mise en œuvre d’une nouvelle politique économique, sociale et solidaire.

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L’implication des collaborateurs séniors

Les parcours de vie sont autant de voyages à la découverte de Soi. On apprend au détour d’une rencontre et à travers nos expériences à découvrir qui l’on est et ce que l’on veut. L’enjeu est fondamental puisqu’il guide le sens que chacun donne à sa vie ou à son métier pour continuer à croire en ce qu’il fait et s’engager encore et encore.

La vie professionnelle n’échappe pas cette règle, en particulier dans des métiers techniques où l’expérience joue un rôle clé pour relever les défis du quotidien. On a pu constater les efforts importants réalisés pour attirer les talents notamment chez les plus jeunes. Mais l’on a aussi bien souvent perdu de vue la richesse humaine déjà présente dans les entreprises, incarnée par les collaborateurs expérimentés. C’est notamment le cas des séniors, cette population dont l’âge plancher varie d’un secteur à l’autre mais qui, pour notre propos, démarrera avec les collaborateurs de plus de 50 ans (La définition de l’OCDE retient le seuil de 55 ans pour des comparaisons internationales).

Ces derniers ont parfois perdu l’attention des managers et des ressources humaines tant ils semblaient autonomes et dociles. Ils ont souvent été critiqués, d’aucuns leur reprochant un manque d’adaptation et des compétences inappropriées​​​​​. Ils ont même connu, pour certains, des départs anticipés à la retraite, pour amortir l’impact de la GVT sur la masse salariale. Et pourtant, ils accompagnaient techniquement les plus novices, répondaient à des questions techniques auxquelles le jeune manager lui-même n’avait pas toujours réponse. On reconnait de nouveau à ces collaborateurs un rôle essentiel dans les entreprises en tant que gardiens de la mémoire organisationnelle et référents techniques.
Mais les transitions en cours supposent une adaptation à laquelle ils n’ont pas toujours été préparés. Désemparés lorsqu’ils ne sont pas accompagnés, ils risquent de se désengager, se projetant parfois très tôt dans une fin de vie professionnelle alors que l’âge de départ en retraite s’allonge. Le décrochage relationnel entre l’homme et son travail est alors une menace lancinante synonyme de non qualité de vie au travail pour les séniors et de charges substantielles pour l’employeur.  Dans un tel contexte, les attentions s’accordent désormais pour identifier des leviers de fidélisation, d’implication et d’accompagnement des travailleurs séniors dans les transitions.

Les métiers de la comptabilité se distingueraient-ils, la vie en cabinet ayant ses propres règles ? Ils n’échappent pas à un héritage ayant constitué la comptabilité en algèbre du droit et le comptable en bras droit du dirigeant. On y retrouve la singularité d’une profession libérale domestiquée par un cadre réglementaire et institutionnel prégnant. On devra bien reconnaître à la suite de Michel Foucault la façon dont le corps professionnel façonne l’organisation et l’âme des cabinets, s’infiltrant dans les méandres des actions quotidiennes et des relations tissées avec l’environnement économique. Toujours alerte, disponible pour cette mission de service public, engagé socialement et sociétalement l’homme du chiffre vit au rythme des échéances fiscales comme des urgences entrepreneuriales. Mais le renforcement des exigences réglementaires comme la pression croissante sur les marges ne font qu’accentuer le challenge humain des cabinets où plus de 50% des professionnels sont entrés en séniorité, 50 ans faisant l’unanimité comme critère de démarcation.

Ces collaborateurs expérimentés se sont années après années adaptés aux impératifs d’une organisation encadrée par les contingences fiscales et économiques. Ils se démarquent autant par leurs savoir-faire techniques, ayant expérimenté succès et échecs sur le terrain, que par leur maturité affective et émotionnelle, induisant une mise en perspective des petits tracas du quotidien. La question de l’âge professionnel est ici intrinsèquement associée à celle de compétence développée par le collaborateur.

Une personne découvrant le métier comptable ignore totalement les fondamentaux d’un métier comme pourrait l’être un chirurgien, pourtant expert dans son métier, envisageant une reconversion dans la consolidation. Le jeune apprenti entrant dans la profession aura besoin d’une personne référente pour le guider, faire ses premiers pas, puis confirmer l’acquisition de ses savoirs, techniques et relationnels. Cette évolution des compétences se retrouve partout où il y a apprentissage comme notamment chez les constructeurs de cathédrale où l’on retrouvait des apprentis, des compagnons et des maîtres. L’apprentissage des compétences permet ainsi, chacun avançant à son rythme, de débuter dans un métier, de confirmer ses apprentissages, puis de devenir expert du sujet.

Or, un parcours de vie professionnelle est parsemé d’embûches et d’opportunités, de blessures et de réussites qui nécessitent autant de formes de réparations affectives que de résilience de la part du professionnel. Et les transitions auxquelles les cabinets comme leurs clients sont confrontés sont perçues comme autant de challenges pour les organisations et leurs personnels. 

L’implication renvoie à l’attachement du collaborateur au cabinet et à sa loyauté. Le concept, initialement employé dans le domaine du droit en référence à l’implication d’un suspect dans une affaire, a depuis été repris en sciences humaines puis en management pour rendre compte de l’engagement du collaborateur dans la vie de l’entreprise. L’implication s’imbrique profondément dans la relation de travail qu’il partage avec le cabinet et ses parties prenantes

De ce point de vue, il existe un contrat entre le collaborateur et le cabinet qui sera renouvelé et renégocié régulièrement tout au long de la relation de travail. Ce contrat déborde de la seule dimension légale pour acquérir d’emblée une dimension psychologique et affective. 

A la suite des travaux de Meyer sur l’engagement, on retrouve alors trois principaux leviers d’implication dans l’organisation :

  • On retiendra tout d’abord l’engagement affectif fondé sur le désir de rester dans l’organisation et sur l’attachement émotionnel. Il est généralement perçu comme positif et constitue un levier managérial puissant ; 
  • On pourra bien évidemment aussi avoir recours à l’engagement normatif où l’une et l’autre des parties considèrent comme normal de poursuivre la relation et se sentent obligées de la prolonger ;
  • L’engagement par coût constitue le troisième levier. Bien connu en psychologie sociale avec notamment le « Petit traité de manipulation à l’usage des gens bien intentionnés » de Joulé et Beauvois, il insiste sur la continuité des missions déjà entreprises face à la perception d’un coût de l’arrêt de la relation. Auto-renforcement et escalade de l’engagement jouent alors un rôle clé.

Les parties à la relation, l’associé, le manager et le collaborateur, sont engagées mutuellement dans un quotidien professionnel où ils trouveront les uns et les autres un intérêt, satisferont des objectifs et pourront aussi perdre, encourant alors des coûts. Le caractère volontaire de l’engagement en constitue son principal moteur. C’est d’autant plus le cas que l’évolution des pratiques managériales a vu les mécanismes disciplinaires s’effacer au profit de mécanismes de contrôles, moins visibles mais tout aussi invasifs. Emploi du temps, poste, relevé des heures, surveillance d’un chef d’équipe constituaient les indispensables de la société industrielle. Télétravail, workflow, plateforme collaborative ou téléphone professionnel permettent désormais de suivre n’importe quel collaborateur jour et nuit, de partager à 20h le soir une urgence pour le lendemain 8h ou de rajouter un rendez-vous dans l’agenda.

Les gourous du management nous invitent désormais à entretenir ce lien dans une logique « gagnant-gagnant », tant sur le plan affectif que contractuel et normatif. Mais une telle représentation ne doit pas nous faire perdre de vue qu’une relation est avant tout la rencontre de deux volontés : une relation dégradée pourra distendre ce lien et l’implication des parties. Il convient aussi de garder en tête que la satisfaction au travail n’est pas forcément garante de la fidélité ou de l’implication, tant du collaborateur, que de sa hiérarchie.

Dans cette veine, il se peut que le contrat psychologique ait été mal interprété par l’une ou l’autre des parties. Il se peut également que l’une ou l’autre des parties fasse preuve d’opportunisme entachant par-là les principes mêmes qui la reliaient à l’autre. L’engagement par coût notamment peut être perçu comme réduisant la liberté d’action et l’on comprend que cette forme d’engagement négatif puisse s’inscrire à l’opposé des courants en développement actuellement sur la réalisation de soi et la qualité de vie au travail. 

Si le monde professionnel insiste sur ce que l’on fait et les actes de bravoure, la question du pourquoi et du comment l’on fait a acquis une importance capitale sur le marché du travail. L’engagement personnel est donc essentiel et le partage de valeurs avec l’entreprise lui est indissociable. Une telle approche était déjà sous-jacente dans les travaux fondateurs de l’école des relations humaines et notamment dans le modèle bi factoriel de Herzberg qui distinguait d’un côté les facteurs d’ambiance et d’hygiène pouvant accroître ou réduire l’insatisfaction, et d’un autre côté les facteurs de motivation déterminant de la satisfaction. Les cabinets se sont tant bien que mal adaptés à ces nouvelles règles du jeu, organisant des événements du personnel, rémunérant les heures complémentaires, définissant des parcours professionnels avec des mobilités hiérarchiques et fonctionnelles. Mais les possibilités dans les plus petites structures peuvent être limitées et appellent beaucoup d’imagination. On le comprend, les managers ont fort à faire pour favoriser pendant toute une vie professionnelle l’implication des collaborateurs et notamment pour impliquer les collaborateurs les plus confirmés. De telles analyses rendent l’interruption d’activité des plus de 55 ans préoccupante à plusieurs titres. Au-delà du maintien dans l’emploi défendu par les politiques publiques, à l’instar de la loi de financement de la sécurité sociale de 2009 (ART.L.138-25 et 24), qui obligeait les entreprises de 50 salariés et plus à signer au cours de l’année des accords d’entreprise ou de groupe, la question de l’implication a pris une ampleur certaine. A peine plus d’un français de 55-64 ans sur deux est en emploi en 2021 contre 81,8% des 25-49 ans selon l’étude de la DARES du 12 janvier 2023. On a là un paradoxe : alors que la durée de vie biologique s’est allongée, la durée de vie professionnelle a connu une baisse prolongée depuis les années 80. Un tel phénomène a donc des conséquences sociétales, on ne reviendra pas ici sur la question des retraites, mais aussi économiques, les entreprises se délestant d’une part importante de leur capital humain avec le départ de collaborateurs séniors. On ne pourra taire, non plus, les conséquences personnelles lorsque les collaborateurs vivent mal leur fin de vie professionnelle. Les investissements réalisés pendant de nombreuses années de collaboration se trouvent ainsi anéantis par le départ du senior s’il n’est pas pleinement valorisé, dans l’intérêt des deux parties.

Ce sujet n’a pourtant rien de nouveau ou d’original. Il pourrait même sembler paradoxal qu’après avoir encouragé le départ des collaborateurs séniors, le marché du travail les considère aujourd’hui comme une ressource à privilégier. Le rapport de la mission sur le maintien en emploi des seniors remis au gouvernement en janvier 2020 rappelle à ce titre que le taux d’emploi des travailleurs séniors reste faible. Il montre en particulier que les seniors ont servi d’amortisseur pour le marché de l’emploi, avec une politique de départ à la retraite bien souvent anticipée. 

Cette tendance s’est renforcée sur le terrain, notamment dans les plus grandes entreprises qui ont pu mobiliser les départs en retraite comme des leviers d’ajustement de leur masse salariale, par exemple dans le cadre de rationalisations post-fusion. Si le taux d’emploi est remonté depuis, il reste néanmoins bien en dessous des autres générations. 

Le problème est d’autant plus présent dans les métiers de la comptabilité que l’on assiste clairement à un choc générationnel et une problématique de transition puisque la profession repense son modèle à un rythme soutenu. 
Tout d’abord, sur le plan démographique, on pourra souligner la pression accrue sur le marché de l’emploi des plus jeunes collaborateurs inhérente au retrait accéléré des seniors. Si les politiques d’apprentissage ont fait la part belle ces dernières années aux juniors néo-entrants dans l’entreprise, visant par là à faciliter l’insertion des plus jeunes sur le marché de l’emploi, les seniors ont accepté et faite leur l’idée d’une inactivité précoce. Le pouvoir de négociation à l’embauche s’en est trouvé diminué pour les cabinets avec des faits stylisés notables comme l’inflation des salaires, les demandes d’aménagement du temps de travail, ou le télétravail. 


Ensuite, sur le plan technologique, des solutions digitales remplacent progressivement les compétences historiques des back offices comptables et font perdre de vue la richesse des compétences abandonnées avec le départ des plus anciens. Certains se sont peu à peu désinvestis des chantiers en cours dans les cabinets, se convainquant qu’ils pourraient éviter un engagement perçu comme coûteux dans le monde de la data notamment. Il est urgent et indispensable d’accompagner les seniors dans cette transformation de leur métier. C’est enfin une révolution de posture du comptable dont l’activité s’appuie d’avantage sur des supports techniques et qui va devoir accompagner ses clients sur des problématiques dépassant la comptabilité à proprement parler, notamment dans le champ du conseil. Les associés se trouvent bien souvent démunis pour accompagner la transition professionnelle de cette population qui a joué un rôle clé dans le développement du cabinet ces dernières décennies.

A défaut de proposer de véritables solutions opérationnelles, le rapport de la mission de maintien en emploi des seniors a néanmoins le mérite d’avancer des principes. Il souligne en particulier l’indispensable enjeu de prévention de l’obsolescence des compétences dans la seconde partie de carrière comme la nécessaire transmission des savoirs. Il encourage aussi une transition progressive entre plein-emploi et pleine-retraite pour prolonger l’emploi des actifs seniors. Il exige enfin l’accélération de la « transformation culturelle des organisations » pour que les représentations des parties prenantes internes des cabinets soient cohérentes avec les ruptures connues dans leur environnement. Proposer des recommandations opérationnelles constitue un exercice difficile lorsque l’on comprend que la relation de travail s’inscrit dans un système plus global mettant le cabinet comme ses collaborateurs en interaction avec leur environnement. Nous retiendrons néanmoins 6 axes d’actions pouvant nécessiter une intervention au niveau du cabinet, de la profession ou du politique.

La quête du sens est un enjeu majeur chez les collaborateurs séniors comme nous avons pu le constater ces dernières années. On la retrouve de façon importante chez les quadras notamment à la suite de la crise du covid et l’on a vu de nombreux collaborateurs remettre en question le modèle qui était le leur jusque-là : changement de rythme de travail, changement de métier, déménagement, changement de vie sont rentrés dans l’univers des possibles. Ce phénomène se retrouve chez les quinquagénaires qui constituent statistiquement la catégorie la plus riche de la population active et pour lesquels les moteurs traditionnels ne sont plus toujours efficaces. Là où certains s’engageront pour satisfaire le client, d’autres le feront pour terminer une tâche entreprise, d’autres encore pour les gains attendus en termes de rémunération et d’opportunité de carrières, d’autres enfin car ils considèrent que c’est leur mission sociale. L’engagement RSE du cabinet ouvre ici des opportunités pour donner du sens, mais il faut garder en tête que chacun donne/trouve un moteur différent à son action.

Les domaines d’activité des cabinets sont en redéfinition pour s’éloigner des missions comptables qui aujourd’hui encore sont prédominantes, mais qui sont aussi certainement les plus fragilisées par la digitalisation. L’entreprise du chiffre doit donc rapidement identifier son redéploiement sur des activités connexes à leur métier princeps. Ce sont autant d’opportunités de mobilités pour les collaborateurs séniors qui pourront se voir confier des missions de veille, de montée en compétences sur ces nouveaux métiers en fonction de leurs affinités. On pourra entre autres directions travailler sur l’information extra-financière, sur la dématérialisation, sur la distribution d’applicatifs, sur l’aide au pilotage, sur l’accompagnement des difficultés et le restructuring… Les possibilités sont nombreuses pour enrichir l’activité et entretenir l’implication des collaborateurs séniors.

Comme les autres tranches d’âge, les travailleurs seniors peuvent avoir besoin d’une certaine flexibilité pour s’accorder avec leurs préoccupations propres. Une telle flexibilité est bien souvent demandée pour mieux conjuguer vie professionnelle et impératifs privés. Dans cette veine, il faut que le poste colle au collaborateur plutôt que de contraindre le collaborateur à rentrer dans un moule. L’âge professionnel est une variable à prendre en compte dans l’aménagement et participe à définir les singularités de chacun. Et l’on assiste, ici encore, à des paradoxes. Certains seniors considéreront avoir la possibilité de travailler davantage, n’ayant plus d’obligations familiales immédiates, là où d’autres au contraire auront une seconde ou une troisième vie et besoin de temps pour leurs enfants ou pour eux, tout simplement. 

La retraite agit comme un mur psychologique et l’idée de fin de vie professionnelle est parfois perçue comme une petite mort pour les plus impliqués. Pour les autres, elle peut être aussi synonyme de libération. Pour autant, le rallongement progressif de la durée de cotisation repousse d’autant le moment du départ. Les convictions qu’un quadragénaire avait pu se forger une ou deux décennies plus tôt doivent être revues avec une échéance repoussée et le sentiment de rupture du contrat psychologique. Il est donc fondamental de remobiliser. Les outils traditionnels sont autant de leviers : il est possible de parler d’évolution professionnelle avec des charges de missions ayant du sens pour le collaborateur sénior que ce soit en tant que référent ou sur le développement de nouvelles activités ; la formation est aussi un enjeu pour rompre avec le stéréotype d’un senior dépassé par les transitions et notamment par la technologie. La flexibilité déjà évoquée constitue une autre possibilité.

Le contrat d’apprentissage a montré le succès d’une recette ciblant mieux les spécificités liées à l’âge. Il apparaît tout à fait possible d’envisager une transition progressive vers la retraite avec financement spécifique par l’état sur le modèle du contrat d’apprentissage. Certaines entreprises ont bien compris l’intérêt de valoriser jusqu’au bout un capital dans lequel elles ont investi pendant des années. Elles adaptent alors le temps de travail et le type de responsabilité pour accompagner la fin de vie professionnelle de leur collaborateur sénior dans une relation gagnant-gagnant. Le contrat senior pourra accompagner les collaborateurs engagés dans le dernier quart de leur vie professionnelle dans le renouvellement de leurs compétences et constituer ainsi un véritable pivot professionnel. Outre de la formation, il pourra s’agir notamment d’associer la mission en entreprise avec une mission solidaire ou tout simplement avec du temps de repos. Une telle solution nécessite un aménagement du contrat dans une logique de sur-mesure social, que l’on pourrait très bien mettre en œuvre à la suite d’un bilan à 360°. 

Les stéréotypes sur l’âge se sont renforcés insidieusement dans les entreprises où, à l’image des startup, le jeunisme s’est imposé en tant que déterminant incontestable du dynamisme. Les cabinets d’audit et de comptabilité ont eux aussi fait la part belle aux plus jeunes depuis plusieurs décennies, les premiers y trouvant une main d’œuvre perçue comme malléable pour s’engager dans des missions peu compatibles avec une vie de famille et les seconds cherchant à compenser un turn-over sur cette tranche d’âge et à bénéficier d’une main d’œuvre fraîchement formée.

Or, contre l’image d’Épinal d’un collaborateur vieillissant, adverse au changement, les seniors ont eux aussi démontré leur capacité d’adaptation, n’hésitant pas à se former de plus en plus tard dans leur parcours professionnel et comprenant qu’au-delà de leur avenir professionnel, ils jouent aussi leur place dans la société.

Il est urgent de faire tomber les stéréotypes d’âgisme ou d’inadaptation. Les seniors s’engagent sur de nouvelles activités et mobilisent de nouvelles technologies dès lors qu’ils trouvent un sens à l’activité.
La loi Pacte, comme plan d’action pour la croissance et la transition écologique, a notamment souligné l’importance de la mission poursuivie par l’organisation au-delà de la seule production de résultats et son partage entre les actionnaires. Cette idée de mission est d’autant plus cohérente que la richesse créée par l’entreprise est largement partagée entre les différentes parties prenantes et répond à des besoins évidents du marché et bien souvent de la société. L’inclusion des seniors est au même titre que celle des personnes porteuses de handicap un enjeu de société. Les cabinets ont toute possibilité de proposer des solutions originales de mixité intergénérationnelle.

A l’issue de cette note, on ne peut que rappeler tout l’enjeu d’une meilleure inclusion des collaborateurs séniors. Au-delà de la problématique sociétale poussée par l’allongement de l’âge de départ en retraite, il en va de la qualité de vie dans les cabinets pour des collaborateurs ayant contribué pendant de nombreuses années à la réussite de leur organisation. Il en va également de leur implication dont les moteurs sont fondamentalement individuels, mais qui peuvent être entretenus par des facteurs exogènes à la main de l’associé.

8 décembre 2023
Vincent Maymo
Professeur des Universités, Enseignant à l’IAE Bordeaux et chercheur à l’IRGO​​​​​

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Les travaux de l’Institut Sofos sont des études de fond accompagnées de propositions apolitiques qui peuvent être affinées ou amenées à évoluer le cas échéant. Les études publiées sont à prendre dans leur ensemble et ne peuvent être résumées par des extraits. Les propositions présentées ne sont pas à considérer comme des revendications ou des exigences. Elles doivent permettre d’ouvrir le débat et contribuer à la réflexion et aux travaux nécessaires à la mise en œuvre d’une nouvelle politique économique, sociale et solidaire.

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LE PROFIL DES ASSOCIÉS des cabinets d’expertise comptable de demain

Les cabinets d’expertise comptable occupent une place centrale au sein de l’économie française dans la mesure où leurs équipes accompagnent et conseillent une grande partie des dirigeants du tissu économique constitué de TPE et de PME. Sociétés multi-services, elles se révèlent des organisations complexes à piloter, à manager, à développer et doivent se positionner sur un espace multidimensionnel.
Compte tenu des multiples évolutions du métier, la question posée est de mener une réflexion sur le profil des associés des cabinets de demain, sachant qu’ils ont une double casquette : ils en sont à la fois les propriétaires (détenteur du capital) mais également les dirigeants des cabinets.

Tout d’abord, un peu d’histoire.

La sociologie des cabinets d’expertise comptable a beaucoup changé au cours des 40 dernières années. Au modèle principal et prédominant de la profession libérale indépendante (1 expert-comptable indépendant avec un maximum d’une dizaine de collaborateurs) a succédé une profession kaléidoscope avec l’existence d’une grande diversité de cabinets en termes de taille (des cabinets indépendants aux cabinets de taille nationale, construits autour d’offres multi-services aux entreprises). Et paradoxalement, le diplôme exigé pour devenir expert-comptable n’a pas véritablement changé sur la même période.

Un cabinet étant une entreprise, le rôle de son dirigeant ou de ses dirigeants est primordial. Chef d’orchestre de la partition sans cesse rejouée des conseils dispensés aux entreprises, le dirigeant expert-comptable doit être stratège, organisateur et manager.

Sa première mission est de réfléchir et de faire le choix d’une stratégie claire (le cap) qui va impacter l’activité des 20 années à venir.

Un premier travail consiste à faire une analyse prospective du métier et des besoins des entreprises dans un environnement mutant, évolutif et incertain. Pour cela, les outils classiques de l’analyse stratégique peuvent être mobilisés. On peut citer par exemple le modèle PESTEL : P comme Politique, E comme Economique, S comme Sociologique, T comme Technologique, E comme Environnemental et L comme Légal. A titre d’exemple, les choix Politiques de l’Union Européenne influencent de manière très forte l’économie française (un seul exemple, l’interdiction des véhicules thermiques à terme). De même, quel sera l’impact sur l’Economie française du vieillissement de la population, de la dette de l’Etat de 3 000 milliards d’euros ou de l’évolution des taux d’intérêt ? Indirectement, la politique macro-économique de l’Etat français influence directement la vie micro-économique des clients des cabinets.

La dimension Sociologique du métier est essentielle dans la mesure où les sociétés humaines évoluent. Depuis quelques années, la relation au travail a complètement changé. Ce n’est plus en Occident la pierre angulaire de toute une vie autour de laquelle tout est articulé mais beaucoup plus un moyen au service d’une vie de bien-être et de bonheur. Le travail : un moyen et non plus une fin. Cette évolution sociologique majeure n’est pas sans conséquence sur la problématique du recrutement à laquelle les cabinets sont confrontés ; le métier de comptable exigeant rigueur, esprit de responsabilité et implication.

La dimension Technologique est d’actualité dans la mesure où la facture électronique et la digitalisation vont complètement transformer l’exercice du métier en attendant les impacts, sur la réalisation des missions, de l’intelligence artificielle et surtout de la robotisation. A quand l’humanoïde comptable, producteur de documents administratifs ! On peut imaginer que d’ici quelques années un robot-humanoïde comptable, alimenté par l’intelligence artificielle, réalisera à 99% la mission de révision des opérations comptables courantes et sera peut-être capable de comptabiliser les opérations d’inventaire et de calculer l’impôt. La re-évolution est en marche.

Sur le plan Environnemental, c’est la question de la prise en compte du défi climatique sur l’activité des clients des cabinets qui est la plus prégnante. La protection de la planète et la construction d’une économie environnementale vont modifier de manière profonde les business model de nombreuses entreprises. Quant à la dimension Légale, elle interroge sur la permanence du monopole juridique de la production des comptes externalisés dans un contexte européen de libéralisation des activités de services.

Un deuxième outil utilisable par les cabinets est la matrice BCG qui permet de faire une analyse, au niveau des cabinets, des produits-services : stars, vaches à lait, dilemmes ou poids morts. Les missions de production des comptes et d’établissement des déclarations fiscales et sociales sont les vaches à lait d’aujourd’hui mais pourraient rapidement devenir des dilemmes. Ces vaches à lait vont-elles le rester ou comment seront-elles remplacées dans la matrice par les activités stars de demain ? Ces dernières étant peut-être les missions de conseil dont la potentialité à devenir des vaches à lait est réelle.

Une autre grille de lecture stratégique du cabinet de demain est la mobilisation de la théorie des compétences et des ressources qui consiste à repenser la stratégie de l’intérieur. Cette approche consiste à cartographier les ressources humaines, financières et organisationnelles du cabinet et à savoir comment peut-on les mobiliser afin de les transformer en compétences, au service de la valeur ajoutée apportée aux clients des cabinets ?
Les deux éléments les plus difficiles à cartographier sont les ressources humaines et les ressources organisationnelles car elles sont toutes les deux immatérielles, évolutives, en mutation et sans pouvoir de contrôle absolu de la part du dirigeant. Néanmoins, leur identification et leur valorisation sont sources d’une amélioration insoupçonnée de la productivité des cabinets. La question des ressources humaines met clairement en exergue le défi RH des cabinets qui s’articule autour de trois sujets :
• Comment attirer des ressources humaines ?
• Comme les mobiliser ?
• Et comment les conserver sur le long terme dans un logique de co-construction de capital humain et de capital client ?

Un autre outil de l’analyse stratégique mobilisable, la constitution de réseaux. Pour éviter de rester seuls et réduire l’asymétrie informationnelle, les cabinets d’expertise comptable ont intérêt à fonctionner en réseaux sur toutes les trois étapes de la chaîne de valeur : approvisionnement-production-commercialisation. En amont, les cabinets d’expertise comptable peuvent opérer en réseaux pour mutualiser une grande partie des moyens dont ils ont besoin pour les faire fonctionner, à savoir mettre en commun des moyens pour l’acquisition du matériel et des logiciels informatiques, pour recruter du personnel ou pour former leurs équipes à de nouvelles méthodes.

Créer un cabinet de recrutement commun peut avoir du sens pour professionnaliser les embauches, partager le personnel en cas de sous ou de suractivité. Au milieu de la chaîne de valeur, les cabinets peuvent avoir intérêt à créer des forces de production communes comme, par exemple, des plateformes de collecte et d’exploitation des données. Et, en aval, des centres de relations clients permettraient de « booster » la performance commerciale d’un groupe de cabinets tout en respectant le cadre déontologique.
En lien avec ce dernier point, une source de création de valeur pour les cabinets est la création d’alliances stratégiques avec des professions sœurs comme les notaires ou les avocats pour les prestations juridico-financières mais également avec des cabinets de conseil pour toutes les missions qui tournent autour de l’accompagnement des dirigeants en réflexion sur la performance de leurs organisations.

En tout cas, une des clefs de la réussite des cabinets repose sur l’avantage concurrentiel de la différenciation qui permet, dans des marchés fortement concurrentiels, d’attirer à soi la demande. Cet avantage concurrentiel peut être « cultivé » sur un des 4 « P » : le Produit (en fait pour les cabinets, le Service rendu au client), le Prix (Low cost pour la compta ? et High cost pour le conseil de pointe ?), le Place (le mode de distribution : réseaux sociaux ou relations interpersonnelles ?), et la Promotion (le type de publicité ou de manière plus adaptée, le type de communication). Sur ce dernier point, la construction d’une relation forte avec les clients du type marketing relationnel me semble particulièrement pertinente pour la construction d’une relation de longue durée et profitable pour les deux parties en présence.

Le deuxième chantier qui s’ouvre aux associés des cabinets d’expertise comptable de demain est celui de l’organisation de la (ou des) structure(s ) qu’ils dirigent. Organiser, c’est toujours complexe. Selon Rojot, professeur réputé et émérite en sciences de gestion, l’organisation est un objet de recherche protéiforme et il considère que « c’est à la fois un objet (une organisation), un acte, une action (l’organisation de quelque chose), et un discours, une méthodologie (des procédés d’organisation) ».

Il reprend dans son ouvrage « Théorie des Organisations » plusieurs définitions. L’organisation est tout aussi bien : « la forme sociale qui, par l’application d’une règle et sous l’autorité de leaders, assure la coopération des individus à une œuvre commune, dont elle détermine la mise en œuvre et répartit les fruits (Bourricaud), une unité sociale avec un but (Litterer), la coordination rationnelle des activités d’un certain nombre de personnes en vue de poursuivre les buts et les objectifs implicites communs, par une division du travail et des fonctions et par une hiérarchie du travail et des responsabilités (Schein), des unités sociales essentiellement destinées à atteindre certains buts (Talcott), un système de relations interpersonnelles structurelles (Presthus), des systèmes ouverts, consistant dans des activités entrelacées d’un certain nombre d’individus (Katz, Kahn), et des systèmes d’activités dirigés vers un but ». Dans une formidable synthèse, Khandaralla considère comme constitutifs d’une organisation : une hiérarchie ; des règles, procédures, contrôles et techniques ; des communications formalisées ; une spécialisation des rôles ; l’emploi de personnels qualifiés et des objectifs spécifiques.

Organiser un cabinet est sans nul doute une tâche complexe car il est un espace de coordination des tâches immatérielles par des acteurs dont les relations informelles, intra et extra cabinets sont nombreuses. Tout d’abord, il est difficile de faire un choix parmi les différents types de structures organisationnelles. On en distingue cinq : la structure hiérarchique, la structure fonctionnelle, la structure hiérarchico-fonctionnelle, la structure divisionnelle et la structure matricielle. A ma connaissance, dans les cabinets les plus importants, la structure retenue est un mix d’une structure hiérarchico-fonctionnelle et d’une structure divisionnelle. Ce sont des structures robustes et qui laissent une certaine autonomie au niveau du processus décisionnel.
Une innovation organisationnelle au sein des cabinets pourrait être la mise en place d’une équipe recherche et développement pour encourager l’innovation et la constitution d’équipes projets, notamment pour la réalisation de missions de conseil à forte valeur ajoutée. Cela permettrait à certains cabinets de développer une compétitivité valeur et d’articuler leur développement autour du concept roi de l’innovation. Cette dernière est probablement la clé de la réussite des cabinets du XXIième siècle : innovations organisationnelles, innovations managériales, innovations produits. C’est la question du business model des cabinets d’expertise comptable, qui est clairement au centre du jeu décisionnel.

L’organisation d’un cabinet mérite également d’être construite sur un système de valeurs fédératrices et sources de modernité. Bien qu’elles ne puissent être que le choix des associés, je me risque à en proposer certaines : la responsabilité, la confiance, l’équité et la dignité. Construire un cabinet sur une éthique de la responsabilité permet de rendre chacun responsable de ses actes et notamment, en lui demandant de réfléchir aux conséquences de son processus décisionnel sur le travail des autres salariés du cabinet mais également sur la vie professionnelle des clients. Une éthique de la responsabilité permet de lutter contre l’individualisme opportuniste et négatif de certains acteurs de l’organisation. Aristote a tout dit au moment de l’apogée de la civilisation grecque.
La confiance serait également une vertu cardinale dans la mesure où la qualité du travail au sein d’un cabinet dépend beaucoup du travail effectué par les autres : le travail d’un collaborateur est facilité s’il a confiance dans celui d’un assistant, idem d’un chef de bureau par rapport aux collaborateurs, idem des associés vis-à-vis des chefs de mission ou de bureau.
Une troisième valeur qui peut être choisie est celle de l’équité, très importante pour que les salariés se sentent traités de la même façon à travail égal.

Quatrième valeur : la dignité qui permet d’inculquer une culture humaniste profonde au sein du cabinet. Les valeurs choisies pourraient être affichées au frontispice du cabinet. Indirectement, le système de valeurs du cabinet permet de construire une culture organisationnelle de nature collective qui a tendance à juguler les comportements individualistes qui peuvent se révéler contre-productifs par rapport aux buts et objectifs choisis par le cabinet. Ainsi, une culture compétitive, axée client, permet de tracer une ligne directrice, claire et fédératrice pour l’ensemble des salariés de l’organisation.

Troisième dimension du profil des associés : le management. Les associés des cabinets sont plus que jamais des managers. Ce sont des capitaines de navire qui se sont progressivement détachés de la production pour diriger les cabinets. Leurs qualités managériales sont essentielles, sachant que ce volet du métier leur a été très peu enseigné durant leur formation jusqu’à l’obtention du Diplôme d’Expertise Comptable.
Manager résulte à la fois de la Science (la science du management) et de l’Art (la capacité à créer de nouvelles méthodes dans un univers incertain et complexe).
L’expert-comptable doit être à la fois un ingénieur rationnel au sens de Fayol mais également un artiste capable de libérer sa créativité. Or, un univers trop conventionnel tue la créativité. Manager, c’est gérer et prévoir. Manager, c’est être en veille, prendre les bonnes décisions, et arbitrer dans un univers informationnel incomplet mais le plus riche possible. Et une des clés de la réussite du manager est d’anticiper et de se projeter dans un univers temps bien appréhendé.

Les associés sont les chefs d’orchestre qui vont permettre aux différents musiciens du cabinet de jouer la partition la plus juste possible tout en mobilisant les différentes ressources du cabinet pour construire et développer un quintuple capital : le capital client, le capital réputationnel, le capital humain, le capital organisationnel et le capital sociétal. Les cinq réunis font la véritable valeur des cabinets.

Le capital client est constitué à la fois des clients actuels et de la capacité à en attirer de nouveaux, aimantés par le capital réputationnel du cabinet. Ce dernier est extrêmement important car, bien que réel, les dirigeants des cabinets ont du mal à percevoir les signaux faibles du marché qui pourraient indiquer soit sa consolidation, soit une destruction partielle et progressive.

Le capital humain est bien entendu majeur dans une société de services et pose la question de l’implication organisationnelle des salariés, de leur fidélisation et de la motivation des équipes. Les enjeux managériaux concernent à la fois le recrutement, la communication interne et externe, l’organisation du travail, la politique de rémunération et les actions de formation permettant de cultiver le capital humain dans un continuum évolutif et positif.

Le capital organisationnel comprend l’ensemble des processus et procédures mis en place au sein du cabinet afin d’améliorer l’organisation du travail, la productivité et, de manière plus générale, l’efficacité et l’efficience des diligences effectuées pour les clients.

Dernier capital et non des moindres : le capital sociétal. Il traduit l’ancrage concret du cabinet dans la société à travers l’impact de son activité. A mon avis, l’impact sociétal de la profession libérale est énorme et complètement mésestimé.

Qui d’autres que les experts-comptables sont en contact direct et très fréquent avec les dirigeants des TPE-PME et indirectement avec leurs parties prenantes ? Personne de manière aussi intense et fréquente.

Les cabinets et l’institution Ordre des Experts-Comptables sont au cœur de ce capital sociétal « valorisable ».


En dernier, les associés et dirigeants des cabinets d’expertise comptable ont besoin d’un outil de pilotage de la performance globale. Le balanced scorecard de Norton et Kaplan peut être le socle de la construction de cet outil d’analyse décisionnelle. Ce tableau est le prolongement de la stratégie adoptée par une entité et est construit autour de quatre axes : les axes financier, client, processus internes et apprentissage organisationnel. Pour les cabinets, j’y rajouterais deux axes supplémentaires : l’axe légal et l’axe sociétal.
• Ainsi, l’axe client serait constitué d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs permettant de mesurer l’interaction avec les clients et la qualité du service rendu. Le client, rien que le client, toujours le client.
• Ensuite, l’axe financier va de soi avec des indicateurs relatifs à l’activité (CA, nombre de clients, typologie des clients, taux de facturation, nombre d’heures facturées), à la rentabilité/profitabilité (profitabilité nette, profitabilité d’exploitation, indicateurs de compétitivité, décomposition du résultat, rentabilité financière), à l’endettement (endettement global, endettement financier, capacité de remboursement), et à la trésorerie (trésorerie en valeur absolue, trésorerie par rapport à la masse salariale).
L’axe apprentissage organisationnel est articulée autour du « cabinet apprenant » (innovation, qualité de la gestion des ressources humaines, transfert de compétences, valorisation des ressources humaines et organisationnelles). L’axe processus internes reprendrait des indicateurs relatifs à l’organisation du travail et, de manière plus générale, aux relations avec les différentes parties prenantes externes de l’entreprise.
L’axe légal inclurait des indicateurs relatifs au respect des lois et règlements par l’entreprise.
• Quant à l’axe sociétal, il comprendrait des indicateurs mesurant l’impact sociétal du cabinet (emplois, versement des cotisations sociales et d’impôts, actions caritatives, mécénat, démarche inclusive vis-à-vis des personnes en situation de handicap par exemple).

7 novembre 2023
Christian Prat-dit-Hauret
Professeur des Universités et Directeur du Comité Scientifique

Avertissement

Les travaux de l’Institut Sofos sont des études de fond accompagnées de propositions apolitiques qui peuvent être affinées ou amenées à évoluer le cas échéant. Les études publiées sont à prendre dans leur ensemble et ne peuvent être résumées par des extraits. Les propositions présentées ne sont pas à considérer comme des revendications ou des exigences. Elles doivent permettre d’ouvrir le débat et contribuer à la réflexion et aux travaux nécessaires à la mise en œuvre d’une nouvelle politique économique, sociale et solidaire.